Pourquoi certaines personnes ne veulent pas aller mieux?

Véronique Heuze • 17 novembre 2025

Il existe une réalité que beaucoup observent, parfois dans leur entourage, parfois dans leurs clients ou même en eux-mêmes. Une personne dit vouloir aller mieux, elle le dit sincèrement, elle espère changer quelque chose dans sa vie… mais rien ne bouge.

Il arrive souvent de voir quelqu’un affirmer qu’il veut aller mieux, s’engager dans un travail sur lui, envisager un changement… et pourtant rester exactement au même endroit. Cela peut surprendre, parfois même frustrer. On se demande pourquoi quelqu’un qui souffre aurait du mal à s’en libérer. Mais ce paradoxe n’a rien d’irrationnel. Il s’enracine dans des mécanismes très humains, où se mêlent notre psychologie profonde et la manière dont notre cerveau se protège.

Dans la vie intérieure de chacun, il existe toujours au moins deux mouvements. Celui qui avance, qui aspire à la clarté, à l’apaisement, à une façon plus stable d’exister. Et celui qui freine, parfois doucement, parfois fermement, parce qu’il perçoit le changement comme une menace. Ce deuxième mouvement n’est pas conscient. Il vient du système nerveux, qui cherche avant tout à maintenir un équilibre.

Le cerveau, par sa structure même, préfère le connu à l’inconnu. Il est programmé pour identifier les dangers, pas pours’enthousiasmer face à la nouveauté. Dès que quelque chose s’éloigne des repères habituels, même si c’est positif, les circuits de vigilance s’activent. L’amygdale, qu’on associe aux réactions émotionnelles rapides, signale qu’un changement pourrait déstabiliser l’organisme. Ce n’est pas une réflexion, c’est un réflexe. Une sorte d’alerte biologique qui dit : “Reste prudent.”
C’est ainsi que certaines souffrances, aussi dérangeantes soient-elles, deviennent familières. Elles se transforment en points d’ancrage. Elles organisent une certaine logique interne. Parfois, elles protègent d’un rythme de vie trop exigeant. Parfois, elles servent de barrière contre des émotions plus profondes. Parfois, elles donnent un rôle, une explication, une cohérence à l’histoire personnelle. Les abandonnées du passé, les anxieux de longue date, les personnes épuisées depuis des années savent rarement qu’elles s’appuient sur leur symptôme pour tenir debout. Et pourtant, ce mécanisme existe.

Les neurosciences montrent que ces habitudes émotionnelles et comportementales laissent des traces durables dans le cerveau. À force de répétition, les circuits neuronaux deviennent plus rapides, plus efficaces. Une réaction qui, au départ, demandait de l’énergie, finit par devenir automatique. C’est le principe même de la plasticité cérébrale : le cerveau renforce ce qui se répète.

Changer implique donc de créer de nouveaux circuits, moins empruntés, moins évidents au début. Le cerveau hésite naturellement à s’y engager, comme on hésite à marcher dans une forêt dense plutôt que sur un chemin tracé.

Dans ce contexte, le mieux-être n’est pas seulement une décision. C’est une réorganisation interne. Et aucune réorganisation ne peut se faire tant que le système nerveux ne se sent pas en sécurité. Un organisme stressé, épuisé ou surchargé ne peut pas ouvrir ses portes au changement. Il se replie. Il attend. Il conserve ce qui lui paraît fiable.

C’est pour cette raison que les approches régulatrices, comme le neurofeedback ou d’autres pratiques apaisantes, peuvent transformer profondément le terrain. 
Elles permettent au système nerveux de retrouver de la stabilité. Une fois apaisé, le cerveau devient plus flexible, moins rigide dans ses anciens schémas, et donc plus réceptif au changement. Il ne s’agit plus de forcer quoi que ce soit, mais de laisser émerger une disponibilité nouvelle.

Le premier pas consiste à reconnaître ce double mouvement intérieur. On peut réellement vouloir aller mieux tout en ayant peur d’y parvenir. Cette ambivalence est normale. Elle n’est ni un sabotage, ni un échec. Elle indique simplement qu’une part de soi n’est pas encore prête à quitter ses anciens repères. Cette reconnaissance est apaisante : elle replace la personne dans un processus naturel plutôt que dans un jugement d’elle-même.

Le changement se construit ensuite de manière progressive. Le cerveau ne tolère pas les bouleversements soudains, mais il s’adapte très bien aux modifications subtiles. Une respiration plus consciente. Un moment de calme inattendu. Une réaction différente face à une situation habituelle. Ces petites inflexions ne sont pas anodines. Elles ouvrent de nouveaux sentiers neuronaux. Elles créent des alternatives là où il n’y en avait pas.

Il est parfois nécessaire aussi de comprendre ce que l’ancien état a permis. Ce n’est pas pour l’alimenter, mais pour libérer la personne de l’idée qu’elle doit avancer “contre” elle-même. On avance mieux lorsqu’on comprend ce qu’on quitte. Cette compréhension donne de l’espace, de la douceur et du sens.
Le processus ne ressemble jamais à une ligne droite. Il suit le rythme de la vie intérieure : des moments de progression, des retours en arrière, des pauses, puis un nouvel élan. C’est exactement ainsi que le cerveau se réorganise : par vagues, par ajustements successifs.

Certaines personnes ne veulent pas aller mieux immédiatement non pas parce qu’elles refusent la guérison, mais parce que leur système intérieur attend d’être rassuré avant d’ouvrir la porte à quelque chose de nouveau. Dès qu’elles se sentent suffisamment en sécurité, soutenues et comprises, le changement cesse d’être un défi. 
Il devient un mouvement naturel. Une transition qui se fait presque d’elle-même, comme si l’organisme savait depuis longtemps comment procéder, mais attendait simplement que les conditions soient réunies.